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Culture et développement intégré
Je dois avouer que j’ai eu l’occasion rarissime de me réjouir récemment. C’est réconfortant au milieu de ce maelstrom de maquignonnage politicien, en apprenant la décision du gouvernement Mehdi Jomaa représentée par le ministre de la Culture M. Mourad Sakli et le ministre de l’Economie et des Finances M. Hakim Ben Hammouda d’inclure le mécénat dans la loi des finances. Cela représente à mon avis un acte qui s’inscrit dans la bonne direction. Le gouvernement semble adopter avec .résolution un levier efficace au service de la culture
L’exigence de déceler les procédés efficients qui permettraient à la culture de prospérer dans notre pays m’a toujours préoccupé. Cette terre de Tunisie foisonne de femmes et d’hommes doués de vocations dans tous les domaines de la sphère culture. Il fallait identifier les moyens d’offrir l’environnement propice à l’épanouissement des vocations et de la créativité.
J’avais tenté de réaliser l’idée du mécénat de manière plus globale lorsque j’avais préparé en 1986 un projet de loi
en vue de créer l’Agence de Promotion des Investissements Culturels. Le temps ne m’avait pas permis de le finaliser parce que les consultations à son sujet avec les juristes au premier ministère s’étaient prolongées outre mesure avant que je ne quitte le ministère. Lorsque Ben Ali avait enterré le projet culturel que j’avais commencé à mettre en oeuvre vers la fin de l’ère Bourguiba, je ne suis pas resté les bras croisés mais j’avais entrepris de le narguer avec l’idée du « Parlement des Intellectuels » en considérant qu’elle représentait un prolongement à l’action culturelle précédente. Mais, l’expression « point de signe de vie de la part de ceux que tu interpelles » sied à ceux qui prônaient la politique de la désertification culturelle!
A titre de rappel, je mentionne quelques constantes relatives à la Culture exprimées par tous les mouvements politiques et économiques avant-gardistes dans le monde, dont la déclaration de l’UNESCO de 1982 clôturant la conférence de Mexico, devenue une référence mondiale. Durant des décennies, d’autres décisions et recommandations avaient suivi. Dès lors, il n’est pas inutile de présenter quelques définitions relatives à la Culture. « La culture, dans son sens le plus large,
est considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ». La prise de conscience à l’échelle internationale se conforte avec le congrès international ayant pour thème « La culture : clé du développement durable » qui a eu lieu à Hangzhou (Chine) en mai 2013, organisé par l'UNESCO. Il se confirme de plus en plus que la Culture est l’assise de tout développement intégral, un facteur essentiel dans la réussite de tout projet de développement. Il existe bien un lien organique entre culture et développement si les politiques le négligent, ils ne feraient que poser la pierre inaugurale de l’échec de leurs programmes, car la Culture demeure la principale charpente pour exécuter tout projet aux dimensions intégrées.L’amélioration des conditions de vie du citoyen ne se réalise pas uniquement par l’augmentation de son revenu, mais elle s’effectue à travers la qualité de vie qu’on ambitionne de lui offrir et dans laquelle l’être humain serait l’axe d’un développement intégré répondant aux aspirations de la société, en sachant employer la manière la plus appropriée de tirer parti des apports de la Culture.
En vérité, ceux qui voudraient évincer la culture de leur programme politique, se projettent à partir .d’une vacuité culturelle caractérisée, qu’ils l’aient voulu délibérément ou aveuglément.
Les problématiques, qui avaient fait manquer au peuple tunisien plusieurs occasions pour réaliser son équilibre d’une façon générale au cours de la réalisation de ses différents plans de développement après l’indépendance, ne peuvent être de mon point de vue que culturelles par essence. Elles resteront posées tant que les forces vives de la société tunisienne ne croiront pas « qu’il n’y a de conscience nationale et politique sans conscience culturelle » et demeureront insensibles concernant ce qui est inscrit dans la Déclarations Universelle des Droits de l’Homme à savoir que : « toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l'auteur ». Une référence culturelle est aussi indispensable comme l’avait souligné Malek Ibn Nabi lorsqu’il avait écrit : « lorsque la politique s’exerce sans référent culturel, elle se transforme en fanfaronnades et verbiage activiste ». Comme la politique dans son acception moderniste vise en premier de garantir une existence digne au citoyen à l’ombre de l’Etat de droit et des institutions, elle exige une citoyenneté véritable qui se fonde principalement sur des valeurs culturelles, prend en compte réellement et effectivement les droits culturels et agit vraiment pour .concrétiser la dimension culturelle dans un développement intégral selon des critères pratiques
Avant de s’attarder sur les terminologies attachées à la culture et aux Hommes de culture, il convient de définir exactement les notions liés à ce concept qui est resté flou dans l’esprit de beaucoup, même de ceux qui prétendent être des chevronnés en la matière. Par exemple, il y a ceux qui différencient entre l’Homme de culture et l’artiste, alors que dans la plupart des encyclopédies l’Homme de culture est défini comme celui qui possède une culture ou une connaissance des savoirs et des sciences ou des arts étant donné que la culture académiquement est l’ensemble de ce qu’une nation ou un pays a atteint dans les différents champs comme littérature, la pensée, les arts, l’industrie et le savoir. De là provient le piège dans lequel tombent quelques médiateurs et communicateurs
lorsqu’ils veulent considérer leur spécialité comme un monde à part, exclusivement réservé à eux et aux exigences de la profession administrativement, techniquement et syndicalement… Alors que leur profession n’est pas liée solidement à la culture en général uniquement, mais son contenu ne se s’ajuste pas et ne reçoit l’adhésion du récepteur que si elle se forme dans le creuset des droits et des valeurs culturelles spécifiés par l’UNESCO, qui englobe tout ce qui a trait aux domaines de la culture et qui a été .négligée par la nouvelle Constitution de la République Tunisienne.
Par conséquent, il n’est pas concevable d’imaginer un programme politique à dimensions intégrées économiquement et socialement s’il ne s’adossait pas à une référence culturelle dont les repères et la vision seraient clairs. Je peux dire à l’instar de plusieurs sociologues que les sociétés fragiles du Tiers monde qui n’ont pas pris en considération l’échelle de valeurs restent exposées à un grand danger car ou bien elles sont attirées vers le passé et ses méandres ou obnubilées par des projets futuristes sans lendemain. Tout cela engendre un cahot dans les esprits qui au fond aboutit au gain facile et à la .course effrénée vers le pouvoir à n’importe qu’el prix.
Le plus curieux, c’est que le lecteur de cette citation pourrait penser que ce philosophe vit à présent parmi nous en Tunisie. Ainsi, lorsque l’échelle des valeurs s’effondre à ce point et le bon grain de l’ivraie s’enchevêtrent et se produit ce que l’écrivain français Taine avait dit : « Livré à lui-même et ramené subitement à l’état de nature, le troupeau humain ne saura que s’agiter, s’entrechoquer, jusqu’à ce qu’enfin la force pure prenne le dessus comme aux temps barbares, et que, parmi la poussière et les cris, surgisse un conducteur militaire, lequel d’ordinaire est un boucher. En fait d’histoire, il vaut mieux continuer que recommencer »[4]. N’y aurait-il pas une leçon à tirer par ceux qui disposent d’un brin de lucidité au milieu de ce que le pays affronte? actuellement comme vains combats d’arrière-garde.
Or, le danger qui menace les pays du Tiers-Monde se traduirait par l’abandon à la loi du troupeau qui s’empare des sociétés humaines grâce au nombre ou à l’argent, ou bien par la mentalité ethnique qui s’appuie sur les liens de sang ou le régionalisme ou le tribalisme ou le clientélisme ou le narcissisme destructeur. Certains vont jusqu’à se jeter par aveuglement dans l’anéantissement de soi en se donnant la mort pour la mort, par haine pour la vie. Les vraies révolutions dans le monde se produisent en partant de valeurs inaltérables fondées sur l’amour de la vie, l’amour de l’autre, la diffusion de la justice, de l’égalité, de la fraternité, de la dignité, de la liberté et du respect des lois. Leur fondement est établi sur la poursuite de la vérité, la beauté, le bien, une véritable dévotion au divin et non une sujétion qui conduit à la servitude. Les moyens destinés à développer ces révolutions sont la lutte contre le mal, le combat contre l’arbitraire, la violence et
le fanatisme religieux. Il est du devoir de nos sociétés de cesser de jouer avec le feu, de renoncer à délaisser les peuples en les livrant au désordre ou en permettant qu’ils soient conduits par des incultes, des tyrans, ou des forcenés extrémistes et dogmatiques, ou des fascinés par la mort et la destruction.
Désormais, il est impératif que les peuples s’attèlent résolument à rétablir l’échelle des valeurs, aussi bien dans le domaine éducatif qu’au sein des organismes socio-économiques et également dans l’activité culturelle, en transmettant les valeurs culturelles issues des principes universels et de notre civilisation arabo-musulmane dans ses plus admirables expressions lorsqu’elle était un maillon resplendissant dans le chaînon de la civilisation humaine. Pour cela, il faut la délivrer de tout qui l’a flétri comme stagnation, raideur et mentalité destructrice au cours des époques de la décadence. Sans oublier que ces valeurs sont celles-là mêmes que l’Occident s’en était saisies et s’est attelé à les propager dans ses propres sociétés ou dans les organisations internationales. Ces valeurs sont les mêmes étudiées par les savants musulmans avec le langage de leur époque et l’ont défini dans ce qu’ils appellent les finalités de la charia, ou bien ce que Ibn Khaldun avait spécifié dans un langage presque .identique au vocabulaire employé de notre époque.
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